La question de la révision de la constitution enflamme le débat public et divise la classe politique. Dans cet entretien croisé, trois hommes politiques donnent leur avis sur la question. Joseph Olenghankoy est président national du parti politique « Forces novatrices pour l’union et la solidarité » (Fonus).
Se?bastien Luzanga Shamandevu est Secre?taire national en charge de la Communication, de la mobilisation politique et porte-parole de la Majorite? pre?sidentielle. Bruno Mavungu Puati est Secre?taire ge?ne?ral de l’Union pour la de?mocratie et le progre?s social d’Etienne Tshisekedi.
Est-il
nécessaire de procéder, aujourd’hui, à la révision de la constitution en République
démocratique du Congo ?
Joseph
Olenghankoy : Dans tous les E?tats du monde, on ne re?vise pas la constitution
quand on veut. C’est l’une des raisons pour laquelle vous constaterez que
les E?tats en Afrique n’ont jamais connu de stabilite?. Parce que les lois
y sont taille?es en fonction de saisons, en fonction de moments et de
personnes. Et tant que nous resterons dans cette logique, il y aura toujours des
guerres, il y aura toujours des proble?mes en Afrique. Un pays, par exemple,
comme la Re?publique De?mocratique du Congo qui a plus de 464 ethnies, tout le
monde veut devenir de?pute? national, de?pute? provincial, conseiller
municipal, bourgmestre, pre?sident de la Re?publique… et si nous devons tailler
des lois en fonction des individus, avec un candidat qui veut diriger le pays
pendant plus de 10 ans, le reste des autres tribus n’acce?deront jamais au
pouvoir. C’est comme cela que la Constitution a pre?vu qu’un mandat a? la
magistrature supre?me soit de cinq ans, renouvelable une seule fois. Lors des
e?lections de 2006, la Majorite? Pre?sidentielle a pese? de tout son poids,
sous pre?texte qu’il n’y avait pas d’argent pour renverser les scrutins. Au
lieu de commencer par les e?le?ctions locales, on a pluto?t pre?fe?re? les
pre?sidentielles, la de?putation nationale et provinciale. Elle a tout fait
pour re?duire l’a?ge requis pour un candidat pre?sident de la Re?publique en
vue de satisfaire une personne. En 2011, la me?me situation s’est produite : «
il n’y avait pas d’argent ». Tout a e?te? manigance? pour ramener, de deux
tours a? un seul tour, le scrutin pre?sidentiel, pour favoriser un candidat.
Quand on dit qu’il n’y a pas d’argent, ceux qui dirigent doivent savoir que les
e?lections sont parmi les secteurs de la souverainete? d’un E?tat. Je ne
comprends pas qu’un E?tat puisse fonctionner et oublier qu’il doit consulter le
souverain primaire. Le budget annuel a toujours pre?vu, depuis 2011, une
enveloppe pour l’organisation des e?lections. Mais ou? va cet argent ? Il y a
la? un se?rieux proble?me.
Luzanga
Shamandevu : D’abord, je voudrais vous dire que les me?canismes de re?vision de la
constitution sont pre?vus par cette me?me Constitution, en son article 218.
Donc, ce n’est pas un sujet tabou, ce n’est pas une invention de la Majorite?
Pre?sidentielle ou de qui que ce soit. Cet article dit que « l’initiative de
re?viser la Constitution appartient concurremment au Pre?sident de la
Re?publique, au Gouvernement apre?s de?libe?ration en conseil des ministres, a?
l’une de deux chambres du Parlement a? l’initiative de la moitie? de ses
membres, ou a? une fraction du peuple congolais, en l’occurrence 100 000
personnes, s’exprimant par une pe?tition adresse?e a? l’une de deux chambres ».
Par contre, cette me?me Constitution ne dit nulle part qu’il faut la re?viser
pendant telle ou telle pe?riode.
Bruno
Mavungu : C’est surprenant ! Avec ce re?gime au pouvoir, on est habitue? a?
voir des choses. La constitution c’est la loi qui re?git le pays. Lorsque les
e?lections approchent, c’est a? ce moment la? que l’on proce?de a? la re?vision
de la constitution. Vous vous souviendrez qu’en 2006, l’actuel pre?sident de la
Re?publique de?mocratique du Congo n’avait pas l’a?ge requis pour e?tre
candidat pre?sident de la Re?publique. On a re?vise? la Constitution pour
l’adapter a? son a?ge. On l’a ensuite re?vise?e pour supprimer le deuxie?me
tour de la pre?sidentielle, en vue de conforter la position d’un candidat. Car
le deuxie?me tour e?tait un exercice tre?s difficile pour lui. Aujourd’hui,
sachant bien qu’il n’a e?te? e?lu ni en 2006, ni en 2011 par le peuple
congolais, il veut changer la Constitution pour l’adapter a? lui, de manie?re
a? s’e?terniser au pouvoir. Ce n’est pas normal, et nous refusons que cette
Constitution soit retouche?e.
Selon
vous, s’il y a révision, quelles sont les dispositions susceptibles d’e?tre
révisées ?
Joseph
Olenghankoy : Je vous dis since?rement qu’il y a des articles qui sont sacre?s. Il y a des
dispositions que l’on ne peut pas re?viser. Me?me la CENI ne peut pas nous
imposer la manie?re dont les e?lections peuvent se de?rouler. Elle n’est pas un
organe de?cideur, c’est un organe technique. L’organe de?cideur a de?fini
toutes les re?gles du jeu contenues dans la Constitution et la loi e?lectorale
e?labore?e par toute la classe politique. Une chose est vraie : je constate
qu’il n’y a pas la volonte? d’aller aux e?lections. S’il y a un conseil a?
donner, c’est de demander a? la CENI de faire un effort pour qu’il y ait un
consensus, en mettant tous les acteurs en pre?sence dans une discussion et
e?tudier toutes les opportunite?s d’avoir l’argent, et tailler le chemin,
pluto?t que de proce?der comme elle le fait aujourd’hui. En politique, il faut
bien e?tudier les moments pour agir. Aujourd’hui, toucher a? la Constitution,
ce n’est pas anodin. La question du passage de 11 a? 26 provinces, cela va
faire biento?t 10 ans qu’elle n’a jamais e?te? applique?e, et c’est de?ja?
de?passe?. Me?me chose pour la gratuite? de l’enseignement au niveau primaire
que l’on n’arrive toujours pas a? re?aliser. En fait, il y a beaucoup de choses
qui n’ont jamais e?te? exe?cute?es dans cette Constitution. Personnellement, je
souhaite que l’on donne la chance a? des e?lections constitutionnelles, justes,
transparentes et e?quitables. Les dirigeants qui seront issus de ces e?lections
non conteste?es, ceux qui auront la le?gitimite?, viendront alors remettre le
pays sur les rails.
Luzanga
Shamandevu : C’est l’article 101, l’article 104 et l’article 197 qui vont faire l’objet
de re?vision pour pouvoir les adapter a? l’e?volution du pays. Concre?tement,
nous avons plusieurs scrutins, qui sont diffe?rents les uns des autres. Les
e?lections urbaines, municipales et locales sont diffe?rentes de l’e?lection du
pre?sident de la Re?publique ou des de?pute?s nationaux ou provinciaux. C’est
pour cela qu’il fallait, a? chaque type de scrutin, une spe?cificite?. Et si
nous avons commence? par les locales, c’est parce qu’il y avait aussi un proble?me
de de?centralisation. Comment voulez- vous que nous appliquions la
de?centralisation si, a? la base, les e?lections municipales et urbaines ne
sont pas organise?es. C’e?tait une ne?cessite? impe?rieuse que l’on puisse,
aujourd’hui, faire en sorte que chaque scrutin soit spe?cifique. Nulle part
l’on n’a parle? de l’article 220 dans ce projet de re?vision de la
Constitution. Ce sont des proce?s d’intention. Aujourd’hui, il n’en est pas
question. Le Gouvernement n’en a pas parle?, le Pre?sident de la Re?publique
n’en a pas parle?. Mais il peut se faire que, demain, le peuple congolais le
demande.
Bruno
Mavungu : Ce n’est pas a? la veille d’une coupe du monde de football que l’on change
les re?gles du jeu. Il faut attendre. Pour le moment, on ne touche pas a? la
Constitution. S’ils pre?tendent adapter certaines dispositions en retouchant
quelques articles, le passage de 11 a? 26 provinces qui tarde a? se re?aliser,
date de 2006, et ce n’est pas en modifiant la constitution, qu’ils vont arriver
a? faire cela. Cela veut dire qu’il y a un agenda cache?, un complot ourdi
contre le peuple congolais pour l’empe?cher, une fois de plus, de se choisir
ses propres dirigeants.
Quel
rapport faites-vous entre le respect de la Constitution et la révision de la
Constitution ?
Joseph
Olenghankoy : La re?vision en soi n’est pas une mauvaise chose, surtout lorsqu’elle
est pre?vue dans la me?me Constitution. Mais en ce qui nous concerne ici, il y
a certains articles qui sont sacre?s. Par exemple, l’article 220 sur le nombre
et la dure?e du mandat du Pre?sident de la Re?publique. Il est fondamental que
les acteurs politiques se rencontrent pour de?finir les re?gles du jeu, sinon,
l’on court droit vers la catastrophe. Allons-nous continuer a? ba?tir notre
E?tat sur des contestations, des proble?mes, me?me la? ou? on peut les e?viter
?
Luzanga
Shamandevu : Il n’y a pas de contradiction entre le respect et la violation de la
Constitution, a? partir du moment ou? tout ce que nous faisons, tout ce que
nous allons faire, y est pre?vu. La me?me Constitution dit qu’elle peut e?tre
re?vise?e. L’article 218 pre?voit tous les me?canismes. Donc, nous faisons ce
qui est pre?vu dans la Constitution. C’est cela son respect. C’est cela le
rapport entre le respect et la re?vision de la Constitution. Tout ce qui est
fait est le?gal et passera par le Parlement. Mais le Gouvernement n’a pas
encore dit qu’il voulait une re?vision de la Constitution.
Bruno Mavungu : Il faut respecter cette Constitution, quelles que soient les contraintes. Depuis un temps, en Re?publique De?mocratique du Congo, nous constatons malheureusement que chaque fois qu’il y a contrainte, on re?vise. C’est l’une des faiblesses que nous de?nonc?ons dans ce pays, et c’est pour cette raison que nous disons qu’il ne faut pas y toucher.
E?tes-vous pour ou contre un troisième mandat de Joseph
Kabila ?
Joseph
Olenghankoy : Ce n’est pas Monsieur Olenghankoy qui de?finit les mandats.
Olenghankoy n’est qu’un citoyen congolais qui fait un effort pour avoir la
vertu de respect de la loi et des re?gles du jeu e?tablies. Ce n’est pas
Olenghankoy qui a e?tabli les re?gles du jeu. Je crois que, personnellement, je
n’ai jamais pre?te? serment pour respecter la Constitution. Mais le Pre?sident
de la Re?publique, lui, a pre?te? serment. Il a pris un engagement vis-a?-vis
du Congo, de respecter et de faire respecter la Constitution. S’il y a une
question quelconque de la re?vision constitutionnelle, c’est dans les
pre?rogatives du peuple congolais. Ce n’est pas un individu qui peut de?cider.
La manie?re dont les choses sont entrain de se poser n’est pas politique.
Je devine le proble?me que le pre?sident Kabila a. Mais sa manie?re de le poser
n’est pas politique. Un homme politique est celui qui a le courage de parler.
Les me?canismes sont connus. Les gens qui e?tablissent des lois ici ce sont des
Congolais. Expliquez alors aux Congolais ce que vous voulez. Ne?anmoins,
jusqu’a? pre?sent, je n’ai aucune preuve que Kabila veut prolonger son mandat,
ou a telle ou telle autre intention. On ne peut pas engager des de?bats sur des
intentions non fonde?es. Je pense que si le Pre?sident de la Re?publique Joseph
Kabila a une intention, il va la communiquer au peuple congolais et la
clarifier. Ensuite, nous prendrons position.
Luzanga
Shamandevu : Le proble?me ne se pose pas en ce moment. Ce n’est pas dans la te?te du
Pre?sident Kabila, ce n’est pas dans la te?te de la Majorite? Pre?sidentielle.
La seule pre?occupation aujourd’hui, c’est de ge?rer les deux ans et demi qui
nous restent. Je viens de vous dire que nous allons respecter la Constitution.
Celle-ci pre?voit que le mandat du Pre?sident de la Re?publique est de cinq
ans, renouvelable une seule fois. Nous allons le respecter si, entre temps, il
n’y a pas d’autres e?ve?nements qui interviennent. Mais pour l’instant, c’est
la Constitution, rien que la Constitution. Mais personnellement, en tant que
Luzanga Shamandevu, acteur politique et membre d’un parti politique (sans la
casquette du porte-parole de la MP), je vais m’assumer d’un point de vue
personnel, Au vu des re?alisations de Joseph Kabila, j’entends par la? la
se?curite? du pays, la se?curite? politique, la se?curite? e?conomique, le pays
est stable gra?ce au leadership de Joseph Kabila Kabange ; lui au moins incarne
une assurance vis-a?-vis du peuple congolais. Nous savons qu’il est la? et
qu’il a la passion pour ce pays qu’il veut moderniser. Nous ne savons pas de
quoi sera fait demain, si celui qui va venir le remplacer sera un nouveau
Ne?ron, qui va bru?ler la ville, ou va nous retarder encore dans le progre?s
que nous sommes entrain de re?aliser. Si cela ne de?pendait que de moi, je
dirais : Joseph Kabila « ad vitam eternam ». Qu’il reste la? pour achever le
programme qu’il a, l’ide?e qu’il a de ce pays, et qu’il continue de se?curiser
le peuple congolais. Parce que celui qui va venir, c’est l’inconnu.
Bruno
Mavungu : Non non ! De?ja?, pour l’Union pour la
De?mocratie et le Progre?s Social, nous ne reconnaissons pas ce deuxie?me
mandat. Pourquoi alors parler du troisie?me alors que le deuxie?me n’existe pas
? Donc, e?tant donne? qu’il n’a pas le mandat du peuple congolais, il peut
partir a? tout moment. Ce pays s’appelle la Re?publique De?mocratique du Congo.
J’insiste sur « De?mocratique ». Mais si on veut nous imposer une dictature,
plus que celle de la deuxie?me Re?publique, en tenant a? tout prix a?
s’e?terniser au pouvoir contre la volonte? du peuple congolais, c’est
de?plorable.
Arthur sedea Ngamo Zabusu est de?pute? national, e?lu du territoire de Businga, ...